RDVI 7 : Interview d’Anne-Laure Carrier

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RDVI 7 : Interview d’Anne-Laure Carrier

RDVI 7 : Les enjeux démocratiques sur les croisements entre éducation à l’image et sujets de l’égalité

 

D’une année à l’autre les Rendez-vous de l’Image visent à remettre la question de l’éducation aux images dans le contexte de l’actualité. Chaque année une centaine de professionnel-les participe à cet événement en portant leur regard sur les questions abordées et en enrichissant les débats, en questionnent les thématiques abordées dans la perspective des évolutions sociétales.

Avec Anne-Laure Carrier, la chargée de mission égalité femmes-hommes / jeunesse à Grenoble Alpes Métropole, nous explorons les croisements entre l’enjeu de l’éducation à l’égalité et celui de l’éducation à l’image.

 

 

Pourquoi cette question de l’égalité homme-femme est-elle importante aujourd’hui ?

Parce que malgré toutes les évolutions obtenues sur le plan juridique et sociétal, les inégalités persistent. Il faut pouvoir y apporter des réponses. C’est un enjeu démocratique, tout simplement.

 

Quels sont les enjeux actuels de l’égalité femme-homme ?

Tout simplement que le sexe auquel on est assigné ne soit plus déterminant pour ce qu’on va faire dans la vie, pour qu’on puisse être complètement libres de choisir ce qu’on fait : ce qu’on exerce comme métier, comment on s’habille. C’est aussi se demander si nous avons les mêmes moyens de vivre nos vies, car des inégalités se traduisent dans des choses très concrètes, comme les revenus, par exemple.

 

En 2014 les Rendez-vous de l’Image se portaient également sur le sujet de l’égalité femme-homme. Quelle est l’évolution de ce sujet depuis 5 ans ?

Ce sont des changements sociétaux qui s’inscrivent plutôt dans le long terme. En 5 ans à certaines échelles très locales (l’échelle de certaines structures) il y a des choses qui ont évolué, car les professionnel-les ont changé leurs pratiques et ont réfléchi à la façon dont ils-elles arrivent à créer une réelle mixité et qui se passe bien. Mais à l’échelle plus large du territoire on ne voit pas les effets de ce qu’on produit tout de suite, d’autant qu’il y a aussi des dynamiques contraires qui sont à l’œuvre.

Il y a des domaines et des moments où il y a des choses qui progressent et inversement, des forces réactionnaires viennent freiner, mettre des obstacles sur cette route de l’égalité.

 

Quels sont des exemples de ces deux tendances parallèles ?

Pour des choses qui progressent on peut mentionner par exemple des actions qui sont portées par des associations du domaine de la jeunesse et du sport. Elles cherchent aujourd’hui à faire en sorte que les filles reprennent ou continuent les pratiques sportives. Des acteurs de ces domaines se forment pour agir en faveur de l’égalité.

Notamment, à l’occasion de la Coupe du monde féminine nous avons proposé une formation appelée « Playdagogie » : une méthode d’animation à partir d’une pratique sportive qui amène les enfants à réfléchir à la question de l’égalité femmes-hommes et à mieux fonctionner en mixité. Je pense que la Coupe du monde de football va bouger des choses : le fait de voir des sportives de haut niveau va forcément dynamiser et donner des rôles modèles positifs.

En ce qui concerne les tendances réactionnaires, la question vestimentaire à titre d’exemple est très présente. On continue de regarder à la loupe comment les jeunes femmes, les filles s’habillent. Que ce soit parce qu’on considère qu’elles sont trop dévêtues, par exemple dans des établissements scolaires on peut entendre des réflexions comme « des shorts qui sont trop courts, c’est indécent », ou au contraire des personnes « trop couvertes » s’il s’agit de femmes qui portent des foulards. On scrute la façon dont le corps de femme est montré ou caché en permanence, on n’est pas encore dans la liberté de s’habiller comme on le souhaite.

Concernant les représentations, on voit toujours une hypersexualisation des femmes. Je parle de femmes, mais cet enjeu se pose également pour les garçons !

Sur les forces réactionnaires, et nous avons eu l’occasion d’en parler lors des précédents Rendez-vous de l’Image, c’est aussi la façon caricaturale dont les jeunes filles et les garçons sont représentés dans les émissions de téléréalité: les filles sont des « bimbos » écervelées et les garçons sont des « musclors » pas très malins non plus avec ce côté d’ultra virilité qui présente des garçons qui n’ont pas d’accès à leurs émotions et qui dans une relation sont plus dans l’esprit de la conquête que dans l’échange et le partage.

 

Comment croiser les enjeux de l’éducation à l’image et ceux de l’éducation à l’égalité et pourquoi est-ce important ?

Pour moi l’enjeu commun est de prendre du recul par rapport à ce qu’on voit. C’est à dire d’être capable de se dire que l’image qu’on a sous les yeux a été pensée par quelqu’un avec une intention, ou reflète tout simplement le contexte dans lequel elle a été créée.

Les inégalités se reproduisent énormément dans ce qu’on voit. C’est l’objet de la pub récente d’une marque de rasoirs qui a pour propos: vous pouvez tenir les discours que vous voulez, les enfants vous voient. Et c’est à partir des modèles qu’ils voient que les enfants apprennent les  comportements. Le message, c’est: il faut montrer des hommes qui sont capables de gérer les conflits autrement que par la force, d’intervenir lorsqu’ils voient des injustices. Il faut le montrer!

C’est à travers la répétition de ce qu’on voit qu’on crée nos stéréotypes. Le cerveau marche comme ça. Je pense aussi à la littérature jeunesse et à ce qu’on montre en tant que représentation des filles et des garçons dans ces livres, de la manière dont ils interagissent avec les autres. Par exemple, lorsqu’ils ont besoin d’aide, est-ce qu’ils sont passifs ou agissants ?

Le cerveau fonctionne de telle sorte que c’est le nombre qui va compter. Si, à côté de nombreuses fois où on voit la représentation de femme en cuisine on va tenir une fois le discours « La place des femmes n’est pas forcement en cuisine », le cerveau ne va pas imprimer. Le stéréotype se construit comme ça aussi: en cumulant les représentations.

 

Les images peuvent-elles changer les stéréotypes?

Je pense que oui, mais il ne faut pas qu’elles soient isolées. L’accumulation des images qui viennent pour déconstruire des stéréotypes ou  construire une autre vision c’est comme ça que petit à petit on fait bouger les lignes. Plus on a des représentations de femmes qui sont autonomes et qui sont actrices des choix qu’elles font, plus nous avons des rôles modèles positifs dans lesquels se projeter.

Par exemple, dans les années 80-90 nous avons eu une émergence des personnages féminins assez forts, entre Scully dans les X Files, Buffy contre les vampires… Je m’interroge : dans quelle mesure est-ce que cela a donné à des filles qui ont vu ces séries un aplomb, une idée « moi aussi, je peux » ! Dans le cas de Scully on voit une scientifique, rationnelle, qui dit tout le temps « mais non, il y a une autre explication que le paranormal », ce qu’est dans la vision stéréotypée un rôle habituel de l’homme.

 

Est-ce que c’était ton cas aussi et le fait d’avoir vu ces séries t’as encouragé dans ta vie de femme ?

Dans une certaine mesure, je pense que oui. Regarder une série ne suffit pas à contre-balancer le poids de la hiérarchie des sexes dans notre société. Mais ça ouvre quand même un peu le champ des possibles. La culture populaire audiovisuelle propose aujourd’hui un peu plus de diversité, avec des personnages féminins forts qui deviennent des leaders (Divergente, Hunger games…). A relativiser : elles restent minoritaires face aux représentations des « filles en détresse cherchant prince charmant ». Et en face, on peine à identifier des personnages masculins marquants, de véritables rôles modèles, qui tireraient aussi leur force de l’expression de leur sensibilité et de stratégie de coopération.

 

 

Propos recueillis par Yuliya Ruzhechka


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